Supporter les Portland Trail Blazers, c’est comprendre et accepter l’idée que tout ne tourne pas autour du titre en NBA. Au final, ça revient à adopter une philosophie similaire à l’homme qui incarne le mieux la franchise aujourd’hui, et peut-être depuis toujours, à savoir Damian Lillard. Cela fait des années maintenant que le joueur répète que finir là où il a commencé, là il s‘est construit en tant que superstar et surtout en tant qu’homme, est tout aussi important que de décrocher une bague. De la même manière, un supporter des Blazers apprend à vibrer autrement tout en sachant qu’aller au bout reste un rêve presque inaccessible.
L’équipe de l’Oregon est pourtant traditionnellement forte et relativement constante au plus haut niveau à l’échelle de sa propre histoire. 37 participations aux playoffs en 53 saisons. Quasiment aucune période creuse. Des parcours héroïques à la pelle, avec, c’est vrai, beaucoup de désillusions et un seul titre, en 1977. Il y a plus de 40 ans maintenant.
Après, ce constat, il s’applique finalement à plein de franchises. Peut-être même la plupart des franchises. Des équipes qui gagnent, il n’y en a paradoxalement pas tant que ça. Les Boston Celtics et les Los Angeles Lakers compilent presque la moitié des titres NBA à eux deux. Des joueurs qui font gagner, il n’y en a pas beaucoup non plus. Une toute petite poignée par génération.
Mais s’il y a bien un signe d’espoir envoyé par les finales NBA 2023, c’est celui-là : il est possible de viser grand, très grand, en ayant une seule superstar. En prenant soin, évidemment, de l’entourer du mieux possible. En faisant tous les bons choix au presque, du coach au dixième homme de l’effectif. Le bon GM, le bon entraînement, les bonnes pièces, etc. Lillard n’est pas un double-MVP comme Nikola Jokic. Mais il est potentiellement l’un des dix meilleurs joueurs du monde. Il a des lacunes, certes. Mais Jimmy Butler aussi. Et pourtant, le Miami Heat a disputé deux finales sous sa coupe.
Podcast #94 : Bientôt la fin des superteams en NBA ?
La domination des deux finalistes sur ces playoffs laissent penser – ou donnent le droit de rêver – qu’une formation de Portland savamment construite autour de son pistolero pourrait avoir sa chance. Ce n’est pas simple. Loin de là. Bâtir un roster de champion est au contraire une tâche extrêmement délicate. Les dirigeants des Blazers ont plutôt fait du bon travail en fonction des moyens mis à leurs dispositions depuis l’avènement du sixième choix de la draft 2012. Justement, ils n’ont pas toujours eu les ingrédients pour cuisiner la bonne recette.
Ils n’ont plus d’excuses depuis la loterie, où les Blazers ont hérité du troisième choix. C’est d’ailleurs le message que « Dame » veut leur faire passer à travers ses dernières déclarations. Deux semaines et des poussières avant la draft et un peu moins d’un mois avant le début de la Free Agency, il annonce la couleur : « Je pense que j'ai été clair sur mes souhaits. Je veux une opportunité de gagner à Portland. Désormais, nous avons une opportunité, au niveau de nos atouts, afin de construire une équipe compétitive. C'est donc l'objectif numéro 1. Si nous ne pouvons pas le faire... alors, comme je le dis depuis des mois, c'est une autre conversation que nous allons devoir avoir. »
N'ayons pas peur des mots. C’est un coup de pression envers le management. Encore une fois, ils n’ont plus d’excuse. Faire venir une star en cours de saison dernière semblait impensable et même irréaliste. Mais là, avec le troisième choix de la prochaine draft et les quelques jeunes talents qui figurent dans l’effectif, les Blazers ont suffisamment de matosse pour remporter les enchères en cas de gros poisson disponible sur le marché.
Damian Lillard envoie un nouveau message clair aux Blazers
L’organisation est à un croisement. Cette intersaison sera probablement décisive. Soit le front office décide de vraiment mener un projet jeune et de penser à demain, voire après demain, en reconstruisant autour de Scoot Henderson, Anfernee Simons et Shaedon Sharpe. Auquel cas Damian Lillard n’aurait probablement plus sa place. Soit elle sacrifie cet éventuel avenir intrigant et prometteur – mais incertain – en refourguant ses atouts convoités pour renforcer SENSIBLEMENT l’effectif. Pour l’instant, toutes les parties impliquées ont pu jouer la montre. Mais l’heure de Lillard, que ce soit son départ ou son ascension dans le top-3 à l’Ouest avec une équipe vraiment compétitive, est arrivé. Dame time.
Avoir les assets, c’est bien. C’est du luxe. Mais encore faut-il trouver les bonnes cibles. Non, pardon, encore faut-il qu’il y ait des cibles ! C’est ce que nous allons essayer de décrypter ensemble.
Le projet impossible
C’est dans notre nature humaine de rêver. Forcément, en parlant de transfert, ça titille notre excitation. Les « super teams » sont souvent décriées ou boudées mais ça n’empêche pourtant pas une grande – très grande ! – majorité des fans de basket de discuter, d’envisager ou de fantasmer sur une association entre tel ou tel bonhomme. Alors prenons de suite cinq minutes pour calmer les plus optimistes d’entre nous.
Giannis Antetokoumpo avec Damian Lillard, ce serait génial. Ce sont deux superstars loyales, avec des personnalités particulières, rafraîchissantes tout en ayant un caractère « à l’ancienne », en supposant que ça ait un sens. Les Milwaukee Bucks se sont bien plantés dès le premier tour des playoffs, Mike Budenholzer est parti, remplacé par un coach « rookie » (mais expérimenté) en la personne d’Adrian Griffin et Khris Middleton peut tester le marché cet été. La franchise du Wisconsin ne va pas partir en vrille, encore moins repartir de zéro deux ans après avoir gagné le titre NBA. Il n’y aura pas de « Greek Freak » dans l’Oregon.
Les fausses bonnes idées, voire juste mauvaises idées
Les stars sont les pierres centrales des projets de chaque franchise. Quand une équipe en trouve une, ce n’est a priori pas pour l’échanger. Maintenant, comme, faut-il le répéter, rares sont celles qui gagnent, il est de plus en plus fréquent que les meilleurs joueurs forcent leur départ ou que leur organisation décide d’entamer un nouveau chapitre en repartant de zéro dans l’espoir de trouver à la draft une future star plus forte que leur star actuelle.
Les Washington Wizards adoreraient se séparer de Bradley Beal et des 200 et quelques millions de dollars qui lui sont dus jusqu’en 2027. Ils seraient sans doute tout à fait partant pour drafter Henderson et miser pleinement sur la jeunesse. Beal, n’a « que » 29 ans et il tournait à 31 points par match deux saisons en arrière. Individuellement, c’est un sacré talent. Mais c’est typiquement le move qui ne ferait progresser que moyennement l’équipe – une version plus forte duo formé précédemment par Damian Lillard avec CJ McCollum – tout en plombant les finances de la franchise sur la durée. Surtout que ça induirait probablement un départ de Simons, qui évolue au même poste.
Les Chicago Bulls n’ont plus de meneur depuis les blessures à répétition de Lonzo Ball. Le management aurait déjà tiré un trait sur sa carrière. Repartir avec un jeune guard comme Henderson, c’est évidemment tentant. Surtout que le trio formé par DeMar DeRozan, Zach LaVine et Nikola Vucevic a vraiment montré ses limites. Est-ce que DeRozan ou LaVine peut atterrir à Portland, par exemple en compagnie d'Alex Caruso et en l’échange du troisième choix et de Simons ou Sharpe (mais certainement pas les deux) ? Lillard, DeRozan, Caruso, une éventuelle prolongation pour Jerami Grant. L’ensemble est mignon. Mais ça sent la fausse bonne idée.
Et si les Minnesota Timberwolves lâchaient Karl-Anthony Towns ? Déjà, pas sûr que ce soit au programme. La franchise a cédé tellement d’assets pour Rudy Gobert qu’il serait sans doute logique qu’elle essaye de faire fonctionner son tandem d’intérieurs All-Stars sur une saison entière. KAT est un personnage un peu particulier, pas leader pour deux sous et finalement pas si complet que ça en tant que joueur, mais c’est un vrai scoreur de premier plan dans la raquette et la présence de Lillard pourrait l’aider à mûrir. Au-delà du fait que ce soit un plan à la con ou un plan douteux, c’est d’abord surtout peu probable au final.
Les pistes à explorer
Jaylen Brown (Boston Celtics)
La première de notre article mène à Jaylen Brown. Première parce que sans doute la plus irréaliste, malheureusement. C’est presque un projet impossible. Mais en NBA, tout va vite dans un sens comme dans un autre. Quelques semaines en arrière, les Boston Celtics étaient menés 0-3 et ils s’apprêtaient à sortir des playoffs par la toute petite porte. Sauf qu’ils sont revenus à 3-3 avant de finalement perdre le Game 7 décisif devant leur public. C’est une déception, oui, mais ça peut laisser penser que ce groupe, mine de rien encore jeune, peut un jour passer le léger cap qui lui reste à franchir pour aller au bout en faisant des ajustements mineurs.
Autrement dit, pas besoin de tout casser et de séparer Brown de Jayson Tatum. Surtout que le premier nommé est éligible à une extension au super max. Il est passé à côté de son Game 7 et il n’hésite pas à piquer de temps à autre le public de Boston. Mais de là à imaginer un transfert… surtout que les Celtics n’auraient un intérêt que si c’est dans le but de rester compétitifs, comme à l’époque où ils songeaient par exemple à Kevin Durant. Pas sûr que le troisième choix de la draft les intéresse. Ni même Anfernee Simons, qui est fort, OK, mais absolument pas confirmé au niveau de compétition auquel aspire la franchise du Massachusetts. Bon du coup, à reclasser dans les projets impossibles.
Mikal Bridges (Brooklyn Nets)
Un autre joueur dont rêvent les supporters des Blazers. Mikal Bridges et Damian Lillard sont proches et ils ont été aperçus ensemble récemment. Mais vu l’explosion de l’ailier depuis son arrivée aux Brooklyn Nets, un transfert paraît là encore très peu probable. L’équipe new-yorkaise ne semble pas partie pour recommencer à zéro mais plutôt décidée à se maintenir dans le milieu du tableau à l’Est, en continuant à développer ses jeunes pour éventuellement signer une autre superstar un jour (tiens, tiens, ça rappelle quelque chose).
Il faudrait mettre le paquet pour récupérer Bridges, et pas sûr que ça suffise. Si Sean Marks n’a pour intention de reconstruire, alors ça n’arrivera pas, quelle que soit l’offre proposée. Surtout que les Blazers n’ont justement pas non plus de quoi proposer le « paquet. » Ils n’ont pas une dizaine de picks disponibles. L’astuce, ça peut être de tenter d’inclure Ben Simmons, dont la valeur est aujourd’hui négative sur le marché des transferts.
Dans l’état, si les Nets veulent bouger Simmons – et ils vont essayer – ils devront sans doute y attacher un pick malgré le talent du bonhomme. Ses blessures et ses déboires ont laissé trop de traces dans les têtes et pas seulement dans la sienne. Peu sont ceux qui croient encore en lui en NBA. Pourtant, ce qu’il lui faut, c’est peut-être juste un changement de scénario. Portland peut à la fois offrir des jeunes talents et dégager l’Australien du Cap à Brooklyn.
Portland reçoit : Ben Simmons (37 M), Bridges (21 M)
Brooklyn reçoit : Pick numéro 3, Anfernee Simons (22 M), Jusuf Nurkic (15 M), un futur pick et sans doute un autre asset.
Pas sûr que ça tente réellement Brooklyn. Peut-être en incluant Shaedon Sharpe en plus. Mais ça ferait alors un sacré investissement sur Bridges. Les Blazers miseraient sur une équipe construite autour de Lillard, Bridges, Simmons à la place de Grant, en supposant qu’il retrouve donc son niveau All-Star, et des joueurs de devoir comme Matisse Thybulle, Nassir Little, etc. Léger, léger. Au final, ça sent l'impasse sur ce dossier.
Paul George (Los Angeles Clippers)
Très alléchant dans l’idée puisque Paul George est sans doute l’une des meilleures deuxièmes options en NBA. Il compléterait parfaitement Lillard. Mais ça sous-entend que les Los Angeles Clippers tirent un trait sur leur projet avec Kawhi Leonard – et quid de ce dernier du coup ? La franchise aurait probablement besoin d’un coup de peinture fraîche mais de là à essayer maintenant… encore une fois, c’est finalement peu crédible.
Pascal Siakam (Toronto Raptors)
La voilà, l’option vraiment possible. Et ce n’est pas le nom qui fera sauter tout le monde de son siège. Mais Pascal Siakam est un excellent basketteur, très polyvalent, capable d’assumer plein de rôle. Il peut être très, très intéressant autour d’un joueur meilleur que lui balle en main. L Camerounais est une version luxueuse de Jerami Grant.
Les Toronto Raptors sont bien partis pour se reconstruire avec Scottie Barnes. Fred VanVleet est en fin de contrat (coucou, les Phoenix Suns) et drafter Scoot Henderson aurait du sens pour l’équipe canadienne. Siakam serait trop vieux pour s’embarquer dans une période de transition axée sur la jeunesse. Un peu comme Lillard à Portland quoi.
Portland reçoit : Pascal Siakam (37 M)
Toronto reçoit : Pick numéro 3, Shaedon Sharpe (6 M), Jusuf Nurkic (15 M)
Dans cette hypothèse, les Blazers auraient encore un peu d’espace sous le Cap pour signer des vétérans susceptibles d’épauler le tandem. Simons peut être inclus dans le deal à la place de Sharpe ou en complément mais à la condition que les Raptors fournissent alors un joueur en plus.
Maintenant vient la question qui fâche : est-ce que c’est vraiment suffisant pour permettre à Portland de lutter avec les équipes de Los Angeles, avec Denver ou Golden State ? Est-ce que ça vaut vraiment le coup de larguer un troisième choix de draft pour bâtir une équipe qui repose sur Damian Lillard et Pascal Siakam ? D’autres options peuvent mener à un « trade down » en piochant plus dans le top-10 par exemple et en récupérant un atout de plus. Mais l’atout en question ne sera probablement pas un game changer. D’où l’autre question qui fâche : et si, finalement, Lillard était presque condamné à partir cet été ?