Christian Laettner, c’est l’histoire d’un gosse de riche prétentieux au physique de premier de la classe, qui, parce que bien né, a rejoint l’équipe de basket de l’une des universités les plus privilégiées (et les plus blanches) des États-Unis. Particulièrement vicieux sur les terrains, il a privé toute une génération de joueurs plus méritants que lui du titre NCAA, non sans voler à Shaquille O’Neal sa place dans la Dream Team de 1992.
Ça, c’est la manière dont Christian Laettner était présenté par ses détracteurs. Et il faut bien avouer qu’énoncé de la sorte, son CV avait de quoi hérisser le poil. Caricature du type que l’on adore détester, ce cousin du blond de Gad Elmaleh s’est ainsi attiré les foudres du public et de ses adversaires comme aucun autre athlète de son époque.
Hué dans tous les stades, insulté par les fans, jugé surcoté dans les médias, méritait-il pour autant un tel traitement ?
Pour rappel, on parle ici d’un jeune homme à l’orée de sa vie d’adulte, qui, contrairement à quantité de chanteurs, acteurs ou de politiciens ayant franchi la ligne rouge (violences, agressions sexuelles, détournements de fonds...), était haï simplement parce qu’il jouait au basket. Rien de plus.
Qu’importe son talent. Qu’importe si le portrait dressé ne correspondait que très (très) vaguement à la réalité.
Quand il ne fait pas bon d’être trop bon
Né le 17 août 1969 dans la région de Buffalo (État de New-York), Christian Donald Laettner n’a en effet absolument pas vécu dans la soie. Fils d’immigrés polonais, son père travaille comme imprimeur, sa mère comme institutrice. Boursier au lycée, l’été il effectue des travaux de gardiennage (laver le sol, couper l’herbe...) pour joindre les deux bouts.
Est-ce la faute de Patrick Ewing si New York n’a jamais remporté le titre ?
Pas le grand luxe donc, mais comme il se montre extrêmement doué au poste d’ailier fort, les meilleures universités l’ont dans le viseur. Et c’est ainsi qu’à la fin de son cursus, en 1988, il prend la décision de rejoindre les Blue Devils de Duke.
De là, les ennuis commencent.
Oui parce que l’histoire aurait pu être mille fois différente si Christian Laettner avait posé ses valises ailleurs. Pas de chance pour lui, Duke n’est pas l’université lambda. Dans l’inconscient collectif, Duke c’est ce temple de la reproduction sociale des cadets de la bourgeoisie, qui, une fois leur diplôme en poche, s’en vont grossir les rangs des firmes juridiques et des institutions financières les plus prestigieuses de la côte est.
Re-pas de chance pour lui, sous la férule du coach Mike Krzyzewski, Christian Laettner et ses coéquipiers (Grant Hill, Bobby Hurley...) excellent : ils arrivent quatre fois en finale en quatre ans et remportent le titre à deux reprises – inédite dans l’histoire du sport universitaire, la performance n’a jamais été reproduite.
Leader des Diables Bleus (21, 5 points, 57,5% d'adresse à deux-points, 55,7% à trois-points, 7,9 rebonds de moyenne lors de sa saison senior en 1992), Laettner peut légitimement être considéré comme le meilleur basketteur NCAA ever.
Non content d’avoir établi le record de points marqués, de lancers-francs réussis et de matchs joués lors de la March Madness, personne ne peut se vanter d’avoir été aussi décisif que lui. En 1990, il a privé Connecticut de Final Four grâce à un buzzer beater. En 1991, il a permis à Duke d’atteindre la finale en enquillant les deux derniers lancers-francs du match face à UNLV. En 1992, il a fusillé Kentucky à 2,1 secondes de la fin des quarts de finales avec un tir retourné resté dans les annales, « The Shot ».
Largement de quoi lui valoir une place dans la Dream Team aux Jeux olympiques de Barcelone, non ?
Mais c’est quoi le problème avec Christian Laettner alors ?
Le problème, ce n’est pas tant Christian Laettner que l’image que Christian Laettner renvoie.
De la même façon que personne ne soutient Drago face à Rocky, personne ne souhaite voir Goliath gagner face à David. C’est pourtant ce qui se passe lorsque Duke élimine les chouchous UNLV et Kentucky, ou pire, le Fab Five de Michigan. Adulée par la jeunesse, la bande à Chris Webber sont les mecs cools du moment. Ils viennent du ghetto, portent des shorts larges et écoutent du rap. Dans le film, ce sont eux qui repartent avec le trophée, pas les boyscouts de Duke que Jalen Rose qualifie sans vergogne de « nègres de maison ».
« Cool » en revanche n’est pas le premier mot qui vient à l’esprit pour décrire Christian Laettner. Certes, sa gueule de héros de l’Amérique triomphante de l’après-guerre lui vaut en 1992 une place sur la liste des 50 personnes les plus sexy de la planète du magazine People, mais aucun fan ne veut fondamentalement lui ressembler.
Trop lisse, trop parfait, il est en sus trop arrogant. Pas arrogant comme un Allen Iverson ou un Gary Payton hein, arrogant comme l’archétype d’un blanc-bec fils de bonne famille pour qui dans la vie tout est dû. Qui pour réussir n’a pas sué/saigné autant que les autres.
[Notez que très paradoxalement, nombreux de ses haters étaient aussi white que lui...]
À sa décharge, Christian Laettner n’y met pas spécialement du sien pour faire taire les critiques, lui qui sur les parquets n’hésite pas à jouer des coudes (quand il ne piétine pas le pauvre Aminu Timberlake) ou à répondre à l’offense par l’offense (lorsqu’il marque, il se frotte avec dédain le menton du bout des doigts en direction de la foule).
Au contraire, « le joueur le plus retors qu’il ait jamais croisé », dixit le coach Hall of Fame Jim Calhoun dans son autobiographie, y puise une source de motivation – « Je me disais qu’ils aillent tous se faire fo*tre, je vais y aller encore plus dur », comme il le déclarera en 2015 dans le documentaire ESPN I Hate Christian Laettner.
Des passions tristes dans le sport
Bien sûr, la jalousie tient pour beaucoup dans cette affaire... ce que certains concernés admettent volontiers avec le recul, de Jalen Rose (« Je détestais les joueurs de Duke car c’était des enfants de riches, issues de bonne famille et j’étais jaloux de cela. ») à Shaquille O’Neal (« J’étais en colère. J’étais jaloux, mais j’ai ensuite réalisé que même si j’étais un joueur plus explosif, plus puissant… Il avait des fondamentaux légèrement meilleurs que les miens. »).
Mais plus encore que cette jalousie, c’est cette haine complètement irrationnelle qui interroge. Victime d’un narratif qui lui collait un peu trop bien à la peau, Christian Laettner s’est retrouvé cloué au pilori pour une histoire de perception.
Ou pour le dire autrement : bouc émissaire d’un monde du sport où les émotions sont reines, à la manière de Sherman McCoy dans le roman Le Bûcher des vanités écrit par Tom Wolfe en 1987, il a pris pour les autres, tout un chacun se sentant dans son bon droit de participer à ce harcèlement à grande échelle.
Cette hostilité à son égard a toutefois fini par s’estomper. Drafté en troisième position par Minnesota en 1993, s’il a par la suite accompli une honnête carrière professionnelle 13 ans durant, à une sélection au All-Star game près, il n’a pas nécessairement marqué les esprits.
Et comme aime à le répéter Charles Barkley, ancienne tête de turc de la ligue : « They don’t get mad about the worst player. They only get mad about the great player. »
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