Parfois, être un fan NBA revient à imaginer des scénarios improbables. A inventer le futur ou à refaire le passé. Se mettre dans la peau du GM de sa franchise favorite. C'est ce qui fait le succès du mode association dans les NBA 2K. Ou de la Trade Machine. Ou du "joue-là comme Di Léo". Et si mon équipe échangeait tel joueur contre tel joueur. Et si mes dirigeants draftaient tel joueur, qui, associé à tel joueur, formerait un duo d'avenir. Et si, et si, et si.
Parfois, être un journaliste NBA, c'est surtout être un fan qui dispose d'une plateforme pour écrire des articles sur un sujet qui le passionne et de mettre sur papier - ou sur écran - ses rêves, ses fantasmes, ses intuitions.
En 2003, à 14 ans, j'étais fan de Carmelo Anthony. D'abord parce que j'avais lu dans Mondial Basket que c'était un futur crack qui venait de mener Syracuse au titre NCAA et ensuite parce j'appréciais son style de jeu porté vers l'offensive quand j'ai eu l'opportunité de matter des highlights du prodige originaire de Baltimore. Beaucoup l'oublie aujourd'hui mais 'Melo' était considéré comme l'égal de LeBron James au moment où les deux superstars en herbe se sont présentés à la draft. Anthony, c'était 22 points, 10 rebonds et un titre universitaire dès sa saison freshman. Il faisait gagner son équipe. A l'époque.
En 2003, Carmelo Anthony était perçu comme l'égal de LeBron
Je suis resté fan du joueur depuis. Je me souviens avoir porté le numéro 15 en cadets. Pas pour Vince Carter mais bien pour Carmelo. J'avais même acheté une hideuse veste des Nuggets que j'ai dû porter deux, trois fois grand maximum avant de réaliser à quel point elle était laide. L'amour a quand même des limites. J'ai entamé deux ou trois saisons en mode association avec la franchise du Colorado dans NBA 2K9. Je faisais de 'Melo' le MVP de la ligue. Parce que c'est ce qu'il aurait dû être.
Quand il a commencé à enchaîner les cartons avec Team USA, tout le monde s'est soudain demandé pourquoi il ne jouait pas de la même façon en NBA. Cette schizophrénie chronique entre sa personnalité en sélection et celle avec ses différentes franchises a rythmé sa carrière qui laisse pour l'instant un goût d'inachevé au vue du talent du bonhomme.
Quand j'ai rencontré et interviewé l'homme, sympa, souriant, détendu, lors d'une session organisé pendant son passage à Paris au Quai 54, j'ai réalisé ce qui se disait déjà Outre-Atlantique ou ce que m'avait même déjà confié des collègues : Carmelo Anthony a vraiment l'air d'être un mec bien.
Mais ça, ça passe souvent aux oubliettes. Parce que Melo, lui, traîne une image de superstar incapable de faire gagner son équipe, d'attaquant fantastique qui défend pas ou peu et ne sait pas impliquer ses coéquipiers. De prodige qui terminera peut-être sa carrière sans la moindre bague - ou alors en s'associant avec ses potes, LeBron, Chris Paul, Dwyane Wade. Toutes ces idées, tous ces souvenirs et ces scénarios ont été décryptés avec brio dans un article du Bleacher Report sur la relation étroite entre Anthony et James. Au travers les différents aspects abordés par Howard Beck, l'un d'entre eux a particulièrement retenu notre attention : Et si Carmelo avait été drafté par les Detroit Pistons ?
Carmelo Anthony aux Pistons, comme une évidence
"On m'avait dit que Detroit allait me sélectionner", raconte Carmelo Anthony. "Une fois que Cleveland a pris LeBron, je me suis dit que j'allais jouer pour les Pistons."
Juin 2003. Les Cleveland Cavaliers, vainqueurs de 17 petits matches l'exercice précédent, ont mis la main sur le premier choix de la draft. Même que le débat est encore animé au sujet de qui de James et Anthony deviendra le meilleur joueur, il apparaît évident que la franchise de l'Ohio n'allait pas rater l'occasion de mettre la main sur l'enfant d'Akron.
Finalistes de Conférence et forts de 50 succès, les Detroit Pistons ont tout de même récupéré le second pick... grâce à un échange effectué cinq ans auparavant lorsque la franchise du Michigan avait envoyé Otis Thorpe aux Vancouver Grizzlies contre un futur premier tour de draft. A peine la loterie passée, le président des Pistons Joe Dumars se permettait même une légère folie laissant présager de son choix à venir.
"je verrais bien Darko (Milicic) ou Carmelo sous l'uniforme des Pistons."
Anthony aurait eu de la gueule sous la tunique de Detroit. A vrai dire, une fois que les boules avaient décidé de l'ordre de la draft, tout le monde le voyait reprendre le flambeau de Grant Hill, parti quelques années plus tôt pour Orlando, et s'inscrire dans la lignée des grands basketteurs à avoir défendu les couleurs bleues et rouges de 'Motor City'. Ses capacités en attaque présageaient d'un mariage heureux avec les guerriers valeureux des Pistons. L'effectif de Detroit semblait tailler pour accueillir un joueur de ce calibre. Melo était ce qu'il manquait aux Pistons et les Pistons étaient ce qu'il manquait à Melo. Tout le monde l'avait venu venir.
"Tu es le prochain", murmurait LeBron James à son ami au moment de se lever pour rejoindre David Stern sur l'estrade.
Tout le monde l'avait venu venir. Ou plutôt personne en fait. Personne n'avait imaginé un tel scénario. Personne, sauf Joe Dumars.
"On m'avait dit que les Pistons allaient me drafter." Melo
Les Pistons ont misé sur Darko Milicic. Un prodige serbe alors âgé de 18 ans. Il a joué un peu moins de dix saisons dans la grande ligue - sans jamais s'imposer. Il s'est reconverti en combattant MMA.
Le choix aurait sans doute été considéré comme l'un des plus désastreux de l'histoire si Detroit n'avait pas gagné le titre dans la foulée, en 2004, avant de perdre une finale héroïque en 2005. Pour Melo, les conséquences ont été un peu plus néfastes. Plutôt que de commencer sa carrière avec des vrais vétérans autour de lui, il s'est retrouvé au sein d'une équipe des Nuggets qui comptera plus tard dans ses rangs des gars comme Renaldo Balkman, J.R. Smith, Chris Anderson. Dans un état où la vente de Marijuana est légalisée.
Alors, que ce serait-il passé s'il avait pu jouer aux Pistons, dans la division centrale, avec quatre affrontements avec James chaque saison ?
"Notre rivalité aurait été d'un tout autre niveau", confie le King des Cavaliers.
Et que ce serait-il passé pour Detroit, place forte de la Conférence Est à l'époque ? Pour certains, Carmelo Anthony n'aurait jamais su se greffer parfaitement aux Pistons. Son style de jeu porté sur le scoring n'aurait pas collé avec le basket altruiste et défensif de Larry Brown et de ses ouailles. Chauncey Billups, l'un des principaux intéressés, a une toute autre théorie.
"Cette mentalité de 'ball-stoppeur' ? Il n'aurait pas été comme ça s'il avait été avec nous", assure l'ancien meneur de jeu champion NBA en 2004. "Nous ne l'aurions pas laissé jouer comme ça et il aurait été un joueur encore plus fort qu'il ne l'est aujourd'hui - et c'est un grand joueur."
"Il aurait été une icône. Car c'est ce que deviennent les grands joueurs qui gagnent. Qui sait si LeBron nous aurait même battu ? Nous aurions probablement gagné trois titres. Sans doute aurait-il été un grand joueur mais qu'en aurait été sa carrière s'il n'avait pas nous battre, nous les Pistons avec Melo et le supporting cast que nous avions alors ?"
Anthony superstar et James le loser ?
Au fil des années, il a été admis que Carmelo Anthony était en mesure de faire gagner son équipe s'il était entouré par le "parfait" supporting cast. A savoir des vétérans, un meneur talentueux et des joueurs de devoir capables d'étirer le jeu et de défendre dur. Tout ce que possédait les Pistons. Chauncey Billups et Rip Hamilton formait un backcourt d'élite capable de défendre sur plusieurs positions et d'espacer le jeu en jouant avec ou sans le ballon. Ben Wallace et Rasheed Wallace était des terreurs à l'intérieur. Surtout, ils étaient des anciens respectés qui auraient pu prendre un gamin comme Melo sous leur aile.
"Il aurait été une icône chez nous." Billups
"C'est pour ça que j'étais un peu déçu. Je voulais vraiment jouer pour Detroit", avoue la superstar des New York Knicks. "Il y avait Chauncey et les autres gars... il se passait quelque chose aux Pistons."
Les détracteurs de cette théorie rappelle souvent le rôle joué par Tayshaun Prince à Detroit. L'ailier longiligne était un défenseur de premier ordre capable d'envoyer quelques banderilles à trois-points. Sa carrière n'aurait pas non plus été la même si Anthony avait débarqué dans le Michigan.
Si le basket est un sport collectif, les carrières, justement, elles, sont individuelles. Il s'agit parfois de quelques détails pour modifier non pas le talent d'un joueur mais la tournure que prend son aventure en NBA. Il est fréquent que des très bons joueurs soient draftés par la mauvaise équipe. Hassan Whiteside en est le dernier exemple.
A titre individuel, Melo a fait plusieurs mauvais choix. Il aurait pu se retrouver au Miami Heat avec James et Wade. Il aurait pu rejoindre les Bulls plutôt que de rester aux Knicks. Plus tard, il confiait demander à ses camarades de promotion ce qu'il avait fait de mal pour se retrouver dans cette situation. Peut-être simplement que la première faute n'est pas la sienne. Peut-être simplement que son destin aurait été complètement différent si les Pistons avaient misé sur lui. C'est à la fois ce qui fait la magie et la cruauté du sport. C'est aussi ce qui nous permet de continuer de rêver et de vivre notre passion.