Bill Russell n'est plus et le monde est un peu moins beau et un peu moins vert depuis dimanche. L'heure est à la célébration de la vie et des combats de ce monument du sport mondial, en même temps que la NBA digère la nouvelle. De notre côté, on n'est pas peu fiers d'avoir eu la chance de publier une interview de la légende, qui remonte au n°24 de Reverse et reste intemporelle. On sent, même des années après, la puissance et le charisme du personnage, en même temps que son humour et sa bienveillance.
Propos recueillis par Xavier d’Almeida et Syra Sylla / Photos Karen Mandau
« Il y a deux catégories de superstars. L’une qui se met en valeur aux dépens des autres types qui sont sur le terrain. L’autre, au contraire, permet aux autres d’avoir l’air meilleurs qu’ils ne le sont. C’est à cette catégorie qu’appartient Bill Russell. » - Don Nelson
Dur de ne pas être intimidé en voyant débarquer la grande carcasse d’un type qui a tellement dominé le jeu. Un joueur qui a marqué son époque et le basket en général en remportant 11 titres en 13 saisons avec les Celtics, dont 8 de suite !
Un type immense qui a côtoyé des géants du jeu comme Bob Cousy, Oscar Robertson, Jerry West, Rick Barry ou Wilt Chamberlain, et qui les a tous battus, année après année. Et puis le vieux Bill se met à parler, tout en gentillesse, ponctuant ses réponses de son rire de géant vert. Et quand Bill Russell parle, on écoute…
REVERSE : Pendant l’Eurobasket, vous avez été présenté à la foule de Katowice, en Pologne et vous avez reçu une belle standing ovation. Pourtant, la majorité des spectateurs présents ce jour-là ne vous avait jamais vu jouer. Comment expliquez-vous cette popularité ?
Bill Russell : Je suis un personnage de fiction (il explose de rire). Quand j’ai commencé ma carrière aux Celtics, la NBA n’était pas une grande Ligue. C’est nous, les joueurs, qui l’avons élevée au niveau des sports populaires de l’époque comme le base-ball ou le football. On a été les premières vraies stars du basket quand il est devenu un sport majeur en termes d’exposition médiatique et de salaires. Je suis allé en Pologne en 1964, et cette année, quand j’y suis retourné, j’ai retrouvé des joueurs contre lesquels j’avais joué à l’époque ! Je peux vous dire qu’ils ont sacrément vieilli (il rigole). En fait, ma notoriété s’est construite petit à petit, avec le temps. Quand j’ai pris ma retraite de joueur, un sondage est sorti qui disait que 93% des Américains savaient qui j’étais. C’était plus que le vice-président des Etats-Unis, et ça, ça m’avait fait rire. Je crois que si je suis aussi connu, c’est aussi parce que j’étais assez actif politiquement, notamment dans le mouvement de défense des droits civique des Noirs. Or, à l’époque, on n’avait pas l’habitude que les sportifs s’engagent autant en politique.
REVERSE : Justement, on a souvent critiqué les grandes stars du sport, Jordan notamment, pour leur manque d’investissement social et politique. Est-ce que vous trouvez cette critique juste ?
BR : Non, je ne le perçois pas ainsi. Il faut comprendre que les époques étaient très différentes. L’être humain réagit de façon différente selon les contextes auxquels il est exposé. Michael Jordan a réagi à un contexte très différent de celui que j’ai vécu à mon époque. Je vous explique : quand j’avais 18 ans, j’ai rejoint l’université de San Francisco. Mais si j’avais tenté de rejoindre North Carolina, il y aurait eu des émeutes dans la ville. En revanche, quand Michael Jordan a terminé son lycée, lui, on l’a supplié de rejoindre North Carolina. Les temps changent, et tant mieux. Son North Carolina était devenu très différent de celui que j’ai connu. Il ne peut donc pas avoir le même engagement que moi parce qu’il n’a pas vécu la même chose.
REVERSE : Mais parvenez-vous à vous reconnaître dans la nouvelle génération de joueurs qui gagnent des millions, parfois sans avoir encore rien prouvé ?
BR : La plus grande partie de l’argent va aux agents et pas tant que ça aux joueurs ! Pour la plupart des joueurs, c’est la compétition la principale motivation, pas l’argent. On le sent à leur façon de jouer. Pour moi, c’est ça qui est le plus important : la passion du jeu.
REVERSE : Pourtant, vous avez une réputation de joueur tourné vers la défense, à l’opposé de ce qui est mis en avant dans le jeu actuel…
BR : J’ai cette réputation parce qu’en 13 saisons aux Celtics, j’ai été 13 fois le meilleur rebondeur de l’équipe. Lors de ma première saison, j’ai manqué 25 matches (sur 72 à l’époque - ndlr) parce que j’étais aux Jeux Olympiques. Et bien, malgré ça, j’ai rattrapé tout le monde au total des rebonds sauf trois types. Mais mon jeu ne se résumait pas aux rebonds. On oublie que sur ces 13 saisons, j’ai aussi été 12 fois le deuxième meilleur passeur de l’équipe ! John Havlicek m’a d’ailleurs dit que je lui manquais plus en attaque qu’en défense parce que tous les systèmes passaient par moi. Et puis, je mettais quand même près de 15 points par match. C’était exprès que je ne menais pas l’équipe au scoring, c’était parce qu’on voulait être collectif. On avait quand même sept gars qui marquaient entre 10 et 21 pts !
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