Ce dont on ne se rend pas bien compte lorsque l'on pense à la carrière du légendaire Bill Russell, disparu dimanche à l'âge de 88 ans, c'est le contexte dans lequel il a joué au basket. La situation est très, très loin d'être parfaite pour les Afro-Américains, athlètes ou non, aux Etats-Unis aujourd'hui. Mais dans les années 50 et 60, celles durant lesquelles le pivot des Celtics a exercé une domination jamais égalée sur la NBA, être noir, sur ou en dehors du terrain était encore plus synonyme d'injustice, de discrimination et de haine.
Si les fans de Boston ont globalement encouragé Bill Russell pendant sa carrière, il a tout de même dû gérer le comportement raciste d'une partie d'entre eux et d'autres habitants de la ville pendant près de 15 ans.
Un article du Boston Globe revient justement sur cette relation compliquée et malheureusement souvent abusive entre le joueur le plus titré de l'histoire et la population locale.
Il faut avoir en tête que lorsque Bill Russell est arrivé à Boston en 1956 en provenance de l'université de San Francisco, les fans de sport à Boston n'avaient jamais eu d'athlète star afro-américain dans l'une de leurs équipes. Malheureusement, ça n'a pas plu à tout le monde, qu'importent l'immense succès et la gloire qu'il a apportés aux Celtics...
Bill Russell était le winner ultime, plus que MJ, Kareem ou LeBron
Russell, qui s'était acheté une maison dans la banlieue plutôt huppée et majoritairement "blanche" de Reading, a rapidement vu la façade de son domicile taguée avec des commentaires racistes. Sa demeure a été plusieurs fois vandalisée et les lettres de menaces, évidemment avec un lexique raciste et suprématiste, faisaient aussi partie de son quotidien.
Même les fans des Celtics présents à tous les matches pouvaient se montrer parfois ouvertement racistes... Dans son autobiographie parue en 1979, Bill Russell décrivait même la ville de Boston comme un "marché aux puces de racisme".
C'est ce qui explique que Bill Russell est l'un des rares joueurs dont le maillot a été retiré dans une cérémonie... sans public. A sa propre demande, le pivot aux 11 bagues a demandé à ce que l'ascension de son jersey dans les hauteurs du Boston Garden se fasse avant que les fans ne puissent rentrer dans la salle. A la base, Russell ne voulait même pas que la cérémonie ait lieu. C'est Red Auerbach qui a insisté...
"Bill en voulait à la ville de Boston. Si je puis me permettre, cette animosité était tout à fait justifiée. Il considérait les Celtics comme sa famille, donc il n'était pas complètement opposé à ce qu'ils lui rendent hommage.
Il ne voulait simplement pas que les fans soient là", avait raconté Tommy Heinsohn, l'un des ses plus fidèles coéquipiers de l'époque.
Bill Russell était un homme intègre. Celui qui a une statue à son effigie à Boston avait par exemple refusé, il y a 44 ans, de devenir le premier Afro-Américain introduit au Hall of Fame de Springfield. Il estimait que d'autres avant lui auraient dû avoir droit à cet honneur. Bill Russell n'avait donc jamais accepté la bague qui va avec la distinction. C'est chose faite depuis fin 2019.
Dans un tweet, l'homme au 11 titres de champion entre 1957 et 1969 avait expliqué sa décision.
"Lors d'une cérémonie privée avec ma femme et mes amis proches comme Alonzo Mourning, Ann Meyers, Bill Walton et d'autres, j'ai accepté ma bague. En 1975, j'avais refusé d'être le premier noir à y accéder. J'avais le sentiment que d'autres joueurs devaient avoir cet honneur avant moi. Il est bon de voir du progrès de ce côté-là".
Bill Russell : les mots magnifiques de MJ, Kareem, Magic et les autres après son décès
Un récit de sa fille Karen, paru en 1987 dans le New York Times, montrait le quotidien pesant de la famille Russell.
"Un soir, nous rentrions d'un weekend de trois jours et avons découvert que nous avions été cambriolés. Notre maison était en ruines et le mot "nègre" était peint sur nos murs. Les voleurs avaient versé de la bière sur la table de billard et déchiré le tapis. Ils avaient cassé l'armoire à trophées de mon père et détruit la plupart d'entre eux. J'étais pétrifiée et sous le choc.
La police est venue, mais ce n'est qu'après leur départ que mes parents ont constaté, en soulevant leurs draps, que les voleurs avaient déféqué dans leur lit. A chaque fois que les Celtics jouaient à l'extérieur, des vandales venaient renverser nos poubelles. Mon père était allé s'en plaindre à la police, mais on lui avait dit que c'était sans doute l'oeuvre de ratons laveurs. Il leur a alors demandé où il devait se rendre pour se munir d'une arme et les ratons laveurs ne sont jamais revenus...
On a reçu des lettres de menaces de mort après un article écrit par mon père sur le racisme dans le basket. Le FBI en a été informé. Lorsque mon père a consulté son dossier chez eux, il s'est aperçu qu'il y était constamment mentionén comme un 'nègre arrogant qui ne signe pas d'autographes aux enfants blancs'."
Terrifiant et tellement représentatif de ce qu'ont vécu Bill Russell et sa famille à l'époque...