Nikola Jokic aurait-il mis une bonne droite dans la tronche du « small ball » en NBA ? Les dinosaures des années 90, les monstres dominants du poste bas comme Hakeem Olajuwon, Shaquille O’Neal, David Robinson, Patrick Ewing et compagnie, n’existent presque plus, certes, mais les pivots reprennent le pouvoir petit à petit. En réalité, ils ont bien sûr toujours été importants, même à l’ère du jeu moderne mais leur rôle a évolué tout comme le sport en lui-même.
En revanche, c’est vrai qu’on remarque une poussée de « star power » chez les grands : en plus de Jokic ou encore le MVP Joel Embiid, plusieurs jeunes joueurs sont amenés à devenir, peut-être, des « franchise player » en jouant cinq. On pense par exemple à Victor Wembanyama, Chet Holmgren ou Alperen Sengun.
Le Turc est un sérieux candidat au MIP (Most Improved Player) cette saison, voire même un All-Star en puissance. Son décollage coïncide d’ailleurs avec celui des Houston Rockets, franchise texane qui cherchera à se qualifier pour le play-in après trois exercices bouclés avec respectivement 17, 20 et 22 victoires. Des saisons catastrophiques qui ont permis à l’organisation d’expérimenter et de lancer des jeunes talents, dont Sengun. Mais toujours avec l’intention de ne pas rester trop longtemps dans les bas-fonds de la Conférence Ouest.
« Quand on l’a drafté, on lui a expliqué qu’il aurait une chance de prouver ce qu’il vaut mais que ça ne durerait pas trop longtemps non plus », se souvient le GM Rafael Stone.
Autrement dit : il y a des minutes à prendre et des opportunités à saisir mais il ne faut pas les laisser passer. Message bien reçu par le jeune. Débarqué aux Etats-Unis en provenance du Besiktas à 19 ans sans parler un mot d’Anglais, il s’est vite distingué en inscrivant un peu plus de 9 points par match en seulement 20 minutes dès sa saison rookie. De quoi gagner sa place de titulaire l’année suivante, faisant ainsi grimper ses moyennes à 14,8 points et 9 rebonds. Il donnait même l’impression de pouvoir faire encore plus.
« Je pense qu’il est très talentueux. J’ai le sentiment qu’ils [les Rockets] devraient faire passer le jeu un peu plus à travers lui », confiait par exemple Jokic après avoir affronté Houston la saison dernière. Un avis également partagé par Anthony Edwards.
La superstar serbe prêche pour sa passoire en raison des similitudes entre les deux joueurs. « Il y a du Jokic en lui », admet Ime Udoka, le nouveau coach des Rockets. Du haut de ses 2,11 mètres, Alperen Sengun ne se contente pas de brutaliser ses adversaires dessus. Il joue tête levée, cherche ses camarades et leur offre des caviars soir après soir. Plus spectaculaires les uns que les autres.
C’est paradoxalement au moment où la franchise texane a accéléré son processus de reconstruction qu’elle s’est mise à centrer son jeu autour du jeune homme. En plus d’avoir embauché Udoka, les dirigeants ont signé Fred VanVleet, Dillon Brooks et Jeff Green ainsi que d’autres vétérans. Le tout dans l’optique de passer un cap. Et là où il y aurait pu avoir des opportunités réduites pour certains prospects, c’est tout l’inverse pour le natif de Giresun. Il est au cœur du succès de son équipe. Il en est d’ailleurs le meilleur marqueur (20,9 points), le meilleur rebondeur (8,8) et le deuxième meilleur passeur (5,7).
« Je pense que ça va être bénéfique pour toute l’organisation [de le mettre au cœur du système]. C’est un mec altruiste, qui veut jouer pour l’équipe. Toute l’équipe va se mettre en mouvement quand il a le ballon », renchérissait récemment Jokic.
La NBA est une ligue où les vainqueurs inspirent tous les autres prétendants. Les Nuggets ont atteint les sommets en se construisant autour du « Joker. » Les Rockets espèrent pouvoir en faire de même avec « Baby Jokic. » Pour l’instant, ce dernier est dans les temps. Il est arrivé outre-Atlantique beaucoup plus jeune que son idole et il affiche des statistiques assez similaires à ceux du Serbe à 21 ans.
Il monte même en puissance. 24,6 points à 57% de réussite aux tirs, 35% à trois-points et 9,4 rebonds sur les 5 derniers matches. Houston marque 116,8 points sur 100 possessions quand il est sur le terrain et n’en encaisse que 107,7 (contre 120,3 la saison dernière) quand il est sur le terrain.
La progression défensive est visible. VanVleet et Brooks contribuent évidemment dans se secteur mais leur présence a aussi forcé les autres à adopter une mentalité différente des saisons précédentes. L’arrivée d’Udoka sur le banc va dans le même sens. Le coach n’hésite pas à engueuler sa star de demain.
« J’adore les coaches qui sont durs. Je me déconcentre parfois. J’ai l’impression que les coaches qui gueulent ont tendance à me réveiller. C’est bien pour moi », témoigne même Alperen Sengun.
Il fait moins de fautes – au sens propre comme au figuré – et se sert mieux de son corps. Parce que même s’il n’est pas forcément aussi talentueux que Nikola Jokic, il est plus athlétique. Bien plus souple par exemple. Il s’est rendu au centre de performance P3 en Californie l’été dernier, où il a renforcé ses jambes et son haut du corps afin de dominer encore plus dans la peinture mais aussi de tenir le choc défensivement. Avec l’expérience, il a de plus en plus conscience de sa puissance et il s’en sert pour martyriser ses vis-à-vis sans avoir peur de leur rentrer dedans. Udoka espère s’appuyer sur les mêmes atouts pour en faire un défenseur honorable.
« Un gars comme Jokic s’est ajusté pour devenir un défenseur correct. Il connaît les angles, il sait se servir de ses mains. Ce n’est pas un protecteur de cercle d’élite mais il sait couvrir ses faiblesses. »
Ce sont les prochaines étapes. Ne plus être pénalisant pour son équipe et toujours gagner en régularité. C’est aussi ça qui fait la marque de fabrique de Jokic : il répond présent quoi qu’il arrive. C’est comme ça que se distinguent les grands joueurs. Alperen Sengun ne sera peut-être jamais un MVP ou un champion NBA mais il continue de grandir et de se rapprocher des sommets.