« Outrepassant à tout moment chaque limite »
On pouvait reprocher à Allen Iverson une sélection de tirs parfois douteuse qui le poussait à arroser plus que les jardiniers de Versailles. Soliste pur et simple ou scoreur de génie obligé d’en faire beaucoup trop pour compenser les failles de coéquipiers limités, le débat a toujours été ouvert. Amusez-vous à faire une recherche rapide sur le site Basketball-Reference des joueurs qui ont fait le plus de matches à au moins 20 tirs tentés et moins de 35% de réussite, le résultat est édifiant. Devant l’inoubliable Antoine Walker, qui choisissait aussi bien ses tirs que ses investissements et qui a sorti 76 de ces chantiers de construction, les noms des deux plus gros croqueurs du basket moderne apparaissent sans grande surprise : Kobe Bryant (101) et Allen Iverson, très loin devant (135 !).Allen Iverson fait partie des rares joueurs qui ont révolutionné le basket au point de provoquer des changements de règles.Mettre Iverson et Walker dans le même bateau, pourtant, est plus qu’une insulte au premier, c’est un sacrilège. Sa maladresse récurrente a toujours été un problème de forme, pas de fond. Aucune star de sa génération n’a plus mérité chaque dollar qu’elle a touché qu’Allen Iverson. Aucune n’a plus sacrifié son corps que lui, match après match, année après année. À l’heure des contrats garantis mirobolants distribués sur la seule foi d’une « contract year » prometteuse et qui sont souvent suivis par des performances très moyennes sitôt la stabilité financière acquise, rares sont ceux qui peuvent se vanter d’être aussi intenses et combatifs qu’il l’a été toute sa carrière. Malgré son petit mètre quatre-vingt et ses soixante-quinze kilos, les mots « peur », « appréhension », et « doute » n’ont jamais fait partie de son vocabulaire, pas plus que les phrases « J’ai un peu mal partout, je vais y aller mollo », « J’en ai ras le cul de me battre dans le vent, je lève le pied » et « Oh putain, c’est quoi ce golgoth ? Je vais quand même pas aller risquer de me péter une côte juste pour un lay-up ». Son approche originale quant à l’utilité des entraînements en a fait une légende des bêtisiers et a largement été reprise par les médias pour stigmatiser cet athlète au style beaucoup trop thug pour être véritablement professionnel. Pourtant, lorsque l’on regarde cette vidéo en se concentrant sur autre chose que le décompte du mot « practice », on s’aperçoit que son discours est parfaitement clair et qu’il est totalement conscient de ce que l’on attend de lui et de ce que l’on pourrait lui reprocher.
« On parle d’un entraînement ! Sérieux, c’est ridicule. Je sais que je suis censé y être, je sais que je suis censé montrer l’exemple. Je sais tout ça. Et je ne suis pas en train de le mettre de côté comme si ça ne voulait rien dire. Je sais que c’est important. Je le sais. Sincèrement. Mais on parle d’un entraînement ! »
Parfaitement conscient que l’abus du mot entraînement est dangereux pour la santé mentale des journalistes à qui il s’adresse, Iverson en rit et enchaîne :« Quand vous venez aux matches et que vous me voyez jouer... Vous me voyez jouer, non ? Vous me voyez donner tout ce que j’ai, on est d’accord ? Mais on parle d’un entraînement... »
Montées de manière à le tourner en dérision, ces deux minutes de conférence de presse ont contribué à lui fabriquer une image de mec à problèmes et de bombe à retardement, bien loin du compétiteur féroce au cœur gigantesque qu’il était réellement.